Antoine Orsini : « Après les gilets jaunes, il y aura, demain, les gilets bleus »

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Contractualisation des territoires : un pacte entre les communes, les intercommunalités et la CDC

Adjoint au Maire de Corte, Président de la Communauté de Communes du Centre Corse, Antoine Orsini est aussi docteur en écologie, Maître de conférences (HDR), directeur du laboratoire d’hydrobiologie de l’Université de Corse. Il a notamment lancé un programme de recherche sur l’eau douce des rivières et des lacs de Corse et sur l’évolution du climat dans le bassin méditerranéen.

Ses travaux font références au niveau international et il sera invité prochainement à la COP 27 qui se déroulera à Charm El Cheikh en Egypte où il animera deux conférences. Face au péril climatique qui entraine la raréfaction de la ressource eau, il nous donne les remèdes pour éviter le pire…

A Sainte-Soline dans le Deux-Sèvres, des militants écologistes ont sectionné une canalisation d’eau agricole pour contester le projet de méga-bassines. Au-delà de l’acte, quel regard portez-vous sur ce conflit d’usage autour de l’eau ?
Antoine Orsini : J’ai répondu à des journalistes de France 2 qu’après les gilets jaunes, on connaitrait les gilets bleus. Et cela s’est produit à Sainte-Soline. Les écolos veulent de l’eau pour les écosystèmes, l’agriculteur veut de l’eau pour ses champs, une mairie veut de l’eau pour ses administrés, EDF veut de l’eau pour fournir ses centrales nucléaires, résultat, tout le monde veut de l’eau. Il y a donc, d’évidence, une notion de gouvernance à créer et à développer. En mettant tout le monde autour de la table, on pourra éviter les conflits et des manifestations violentes. Je rappelle que nous avons déjà connu cela en 2003 au moment de la canicule. En Balagne, un arrêté préfectoral fut appliqué pour interdire aux agriculteurs d’irriguer leurs cultures. Résultat, un groupe d’agriculteurs avait sectionné une canalisation alimentant un camping qui avait une très grande piscine. Le problème de la gouvernance est essentiel. On ne peut gérer l’eau de la Corse de Paris et je vais plus loin, on ne gère pas l’eau du Cap Corse à partir d’Ajaccio. La bonne échelle de gouvernance doit être locale, et pas locale en parlant de bassin versant mais sous la forme de PTGE qui sont les plans territoriaux de gestion de l’eau. Ce côté gouvernance est fondamental pour dire ce qu’il faut faire, ce qu’il convient de faire et pour y associer les gens. Il est fondamental aussi en second lieu pour faire de la sensibilisation, de l’information. Si on explique aux gens qu’il faut se serrer la ceinture car il va y avoir des restrictions, dans la mesure où ils seront prévenus, ils seront moins virulents. Les autorités politiques ne gèrent pas l’eau, elles gèrent la pénurie. En cas de pénurie, il y a une liste de priorités, la sécurité, la santé, l’agriculture, elle, n’existe plus, je ne fais que citer le code de l’environnement. Partant de ce constat, nous avons intérêt à associer les agriculteurs.

Néanmoins, il y a des cultures agricoles qui sont très consommatrices en eau comme le maïs ?
Il faut arrêter le maïs. Cela fait plus de quinze ans que je dénonce cette pratique agricole. A la fin d’une de mes conférences sur le sujet de l’eau, un agriculteur m’avait interrogé : « Qu’est-ce que nous donnerons à manger à nos animaux ? » J’avais répondu : « Monsieur, vous prenez du sorgho, vous économisez la moitié de l’eau qui est nécessaire au maïs, vous prenez du blé, vous divisez par dix la consommation d’eau. » Sauf que le maïs est subventionné. C’est une aberration monstrueuse. Que l’on me comprenne bien, je ne suis pas là pour enlever le pain de la bouche des agriculteurs, si j’ose le bon mot, je veux que les agriculteurs puissent faire du blé avec leurs cultures.

Pour en revenir à la bonne échelle de gouvernance, que préconisez-vous ?
Il faut remettre du politique sur le terrain. Il faut faire appel aux maires et aux présidents d’EPCI. Stratégiquement, politiquement et socialement, quand vous avez un tuyau long de 50 kilomètres qui vous apporte de l’eau, vous ouvrez votre robinet et vous n’en avez rien à faire, vous n’êtes pas sensibilisé. Ce n’est pas pertinent si vous avez votre réservoir d’eau potable très éloigné de chez vous. Si de temps à autre, le maire vous dit : « Venez, on va regarder le niveau d’eau », vous êtes au bon degré d’informations. C’est tout simplement ce qui se passait dans les villages lors des décennies précédentes.

On est d’ailleurs revenu à de sévères restrictions de consommation de l’eau potable dans plusieurs communes cet été…
Personne ne peut promettre de l’eau. Des maires ont coupé l’eau pour gérer la distribution cet été. On est revenu à une situation difficile. Les extrémités de l’île ne sont pas arrosées, le Cap Corse, la Balagne, le Nebbiu et l’Extrême Sud. Certains maires, je ne veux pas être méchant, découvrent que leurs communes manquent d’eau. D’autres ont souhaité, comme à Rogliano et Tomino faire du dessalement de l’eau de mer. C’est une fausse bonne idée. Il faut faire des forages. J’effectue aujourd’hui un travail pour la Communauté d’Agglomération Bastiaise. On s’aperçoit que le territoire regorge d’eau, de ruisseaux souterrains. On ne peut imaginer l’eau qui est disponible dans certains territoires dont celui du Cap Corse.

Vous nous expliquez que les solutions sont sous nos yeux ?
C’est clair mais il faut aborder les choses de façon logique. Si l’on part du principe que l’on va remplir les grands barrages comme Calacuccia, c’est une erreur. Non seulement, on ne pourra pas les remplir comme c’est le cas en Sardaigne mais la qualité de l’eau en sera fortement dégradée car l’eau se réchauffe et elle est pleine de cyanobactéries. On ne peut même pas l’utilisée en agriculture. Il faut à la place des retenues collinaires ou l’idéal serait d’avoir des retenues fermées comme les bâches souples DFCI. Cette eau peut servir aux habitants et aux besoins agricoles, elle est permanente et de qualité. Elle ne subit pas l’évapotranspiration.

Eau, facteur de développement des îles méditerranéennes pour reprendre votre expression ?
Quand il n’y a pas d’eau, c’est un facteur de non-développement. J’ai fait le tour de la Méditerranée pour montrer les solutions, des solutions parfois onéreuses : Ainsi, Chypre dispose d’un aqueduc venant de Grèce et financé par l’Europe. Des îles grecques se font aussi livrées de l’eau par des navires. Je redis à mes amis du Cap Corse. Il faut commencer par économiser en réparant les fuites des canalisations. On peut retrouver déjà 50% de production. Une unité de dessalement n’est pas économiquement viable. Les gens vont payer l’eau à un prix exorbitant. Economiser l’eau, réparer les canalisations, réutiliser les eaux usées traitées, l’eau en Corse est disponible. La station d’épuration du grand Bastia rejette en mer une eau qui est des plus traitées, elle pourrait largement servir aux besoins agricoles. Cette eau représente 5 millions de m3 par an. Il suffit de prendre en compte le modèle israélien.

En Corse, la politique hydro-électrique était axée sur les grands fleuves, le Golo, le Tavignano, le Rizzanese. Aujourd’hui, cette politique est devenue désuète ?
Il faut aujourd’hui revoir l’étude lancée sur le potentiel hydro-électrique de la rivière. On disait que le potentiel était illimité. Avant les années 80, il y avait deux mois de basse eau, l’étiage estival, des années 80 aux années 2000, on est passé à 3,4 mois et depuis 2020, nous sommes à quasiment 7 mois d’étiage. Quand on ne turbine pas, tout est au fioul. Auparavant, le pic de consommation se situait en hiver, période où il était nécessaire de se chauffer, environ 400 000 méga watts. Aujourd’hui, on atteint rapidement ce chiffre en juillet avec la clim’ alors que les barrages sont au plus bas.